Non je n'ai pas changé et Nom j'ai changé
Nous l'avions remarqué il y a quatre ans, en septembre à Gradignan en Gironde, luxuriant sur un tronc de feuillu envahi de lierre, à l'entrée d'un bois. Il s'appelait alors Armillaria socialis (syn. Armillaria tabescens). Nous l'avons retrouvé cette année en août dans le même bois, à quelques pas, puis en septembre. Cette dernière fois au même endroit, sur son tronc toujours orné de lierre. Et ... il avait changé de nom. L'armillaire sans anneau doit aujourd'hui porter le nom valide de Desarmillaria tabescens.
Désarmant!
Quand Christian Rouzeau, un ancien de la Linnéenne de Bordeaux - de qui nous avons beaucoup appris en mycologie- pestait contre les changements de noms de champignons et continuait à les appeler à l'ancienne, cela nous laissait songeur. Aujourd'hui, ayant atteint peu ou prou son âge d'alors, nous le comprenons mieux. La nomenclature restera certes toujours une difficulté mais, quelque soient les avancées scientifiques, la fluctuation de la dénomination des espèces est déconcertante. De là à penser que les noms de mycologues accolés aux nouvelles dénominations en est une clé? Ce serait regarder par le petit trou de la serrure et, jusqu'à présent nous n'avons jamais vu un carpophore (ce terme a repris du service) émerger d'une serrure...
Alors, en plagiant le bon Julio Iglesias, donnons -s'il en était besoin- la clé du titre de cette chronique. Non je n'ai pas changé (toujours l'Armillaire sans anneau) et nom j'ai changé (feu Armillaria socialis renait en Desarmillaria tabescens). C'est certainement faire beaucoup de cas d'un détail?
Cela dit, la micro n'a pas changé. Nous avons laissé sur notre planche le nom à la date de l'étude.
En revanche, nous avons observé, au-delà du nom, non pas sur quatre ans, mais sur une quinzaine de jours la faible résistance à la chaleur de cette espèce lignicole.
Ci-dessus, en haut, des bouquets d'Armillaires encore bien portants et, en bas, les mêmes "destroyed" seulement deux semaines après. Un manque d'eau flagrant pendant cette période.
Toutes les espèces ne sont pas logées à la même enseigne. Prenez l'Amadouvier par exemple. Hors que son nom n'a pas changé "depuis Fries", cette espèce amadouée par feu l'Homme préhistorique à qui il a montré sa flamme, Fomes fomentarius donc n'a pas (ci-dessus) changé d'aspect en deux semaines. Il lui faut bien davantage.
Quatre longues années par exemple (ci-dessus) pour passer, sur le même arbre, du beau blanc au bien brun. Non, nom, celui -ci n'a pas trop changé!
Michel Pujol
Girolles lot-et-garonnaises: même station en trois temps-trois ans 14/17/19
A chacune et chacun ses coins, ses stations. Y revenir année après année quand le biotope n'a pas trop changé, que les conditions climatiques sont favorables aux pousses, permet d'en suivre l'évolution. De récolter aussi les fruits de patientes observations quand, d'aventure, les sporophores visés sont comestibles. Ainsi en est-il des girolles et plus particulièrement de Cantharellus pallens (= C. subpruinosus), la girolle pruineuse qui apparaît généralement en mai quelque part en Lot-et-Garonne...
Avec Yvette et Roland, le 16 mai 2014, nous avions découvert leur biotope où, déjà les années passées, ils avaient récolté cette espèce à propos de laquelle Guillaume Eyssartier et Pierre Roux* écrivent "Neuf fois sur dix, c'est cette girolle qui est consommée et vendue sur les marchés, au lieu de la vraie girolle Cantharellus Cibarius".
Point de cabane au fond du jardin dans cette chênaie bien qu'on ne soit pas trop éloigné des terres de Francis Cabrel et, tout de même, quelques ca-ailloux et , sous la chaussure et dans le panier d'Yvette
des pépites jaunes plutôt pâles
poussant ici dans les endroits moussus et aérés et montrant leur chapeau pruineux.
La cueillette allait être intéressante pour une dégustation lors du repas suivant l'après-midi de la balade sans bruine ni grosse pluie.
La récolte abondante eut quand même une dimension ... microscopique comme l'atteste la planche ci-dessus qui détaille notamment épicutis, spores et basides.
Deux ans plus tard
Les mêmes causes produiraient-elles les mêmes effets en matière de champignons à condition toutefois que le biotope n'ait pas changé? Il semblerait car, deux ans plus tard, le 17 mai 2017, nos amis Yvette et Roland retrouvaient sur la même station leurs "pépites jaunes"
et, une semaine plus tard, le 24 mai 2017, d'autres jaunettes rejoignaient leurs paniers en compagnie de deux cèpes d'été (Boletus aestivalis) au premier plan ci-dessus.
Cette année
Et, que croyez-vous qu'il advienne ce 30 mai 2019?
Elles étaient là, fidèles au rendez-vous, qui avaient fleuri dans la chênaie moussue lot-et-garonnaise. Ces girolles seraient-elles notre avenir? Sans doute des témoins de la bonne santé de nos espaces naturels et de leur respect.
M.P.
* Le guide des champignons France et Europe Guillaume Eyssartier&Pierre Roux(Editions Belin 2011) page 590
Précoce sur le B.R.F. nourricier: sur la piste des Agrocybes
Dans notre précédente chronique nous évoquions, à propos du Plutée couleur de cerf, le biotope particulièrement "productif" du Bois Raméal Fragmenté (B.R.F.). En bordure d'un parking du centre de Gradignan, en Gironde, nous avions vu justement depuis quelques jours, dans un massif abondamment garni de B.R.F, plusieurs troupes de champignons aux chapeaux brun-jaune tout craquelés. Ça ressemblait bien à des Agrocybes mais leur taille paraissait bien grande. La consultation de la littérature, des sites spécialisés d'Internet dont MycoDB et un peu de microscopie nous confortait sur le genre et précisait l'espèce qui portait bien son nom en ce 22 mars printanier: Agrocybe praecox (Agrocybe précoce).
Sous l'angle macro, lames échancrées beige et brunissant sur le tard, anneau membraneux fragile et (comme ci-dessus) déchiré restant accroché au chapeau, chair blanche à odeur de farine, saveur plutôt douce (pour le minuscule morceau de chapeau mâché et vite recraché), stipe régulier assez long et ...
… caractère souvent décrit pour cette espèce, de nombreux cordons mycéliens blancs qui restent bien accrochés à la base du stipe quand on le dégage du sol "jardinier" très meuble où il abondait, lié au B.R.F.
Sous l'angle micro, nous avons notamment observé des cheilocystides et pleurocystides fusiformes ventrues et la mesure des spores ellipsoïdales lisses à paroi épaisse était en moyenne, pour notre récolte, de 9,4 x 5,9 µm.
Petite bibliographie: Bon (2004) p.262; Courtecuisse & Duhem (2011) n°1299; Eyssartier & Roux (2011) p.836; Breitenbach & Kränslin (1995) Tome 4 n° 368.
Michel Pujol
Mémoire de Truffes: 1_ M. comme Melanosporum et Monflanquin
S'il est une ODEUR de champignon qui reste en mémoire c'est bien celle de LA TRUFFE DU PERIGORD. Début 2008 nous étions à Monflanquin en Lot-et-Garonne chez Guy Joui et découvrions, sur ses terres, l'art du cavage en compagnie d'Yvette et Roland Dabos et de leurs amis de l'Association des producteurs de cèpes et champignons du Lot-et-Garonne alors présidée par Rose Pons.
Une relation de cette journée mise en ligne sur Aqui.fr le 30 mai 2008 est toujours consultable sur ce site. Retour sur cette très agréable expérience et quelques angles d'approche.
Le cavage
On entend par cavage la récolte de ce champignon qui se développe et « mûrit » sous terre. Selon les espèces de truffes (Tuber melanosporum n'en étant qu'une parmi d'autres), les profondeurs où elles se trouvent varient. Les animaux au flair plus affûté que les humains sont mis à contribution. Par l'odeur alléchés chiens, cochons vont, à peu près, droit au but. Le jeu consiste, sans détériorer les truffières, à ne ramasser que des « fruits mûrs » que détecte aussi une mouche minuscule qui y pond ses œufs.
A la poursuite du diamant noir sous la castine de Monflanquin
Sous ce titre, en 2008, nous écrivions ces quelques lignes:
Tuber melanosporum, la truffe du Périgord, surnommée diamant noir, s'est raréfiée. Sa production annuelle en France serait passée en effet de 1000 tonnes à la fin du XIXème siècle à 50 tonnes aujourd'hui. Au marché de Lalbenque, dans le Lot, seulement 20 kilos de « mélano » ont été vendus le 10 mars (2008 NDLA) aux professionnels au prix de 400 à 650 euros le kilo. Pourtant, 300.000 arbres truffiers sont plantés chaque année et ils sont bien mieux mycorhizés aujourd'hui que les chênes verts et autres noisetiers d'antan. Pour autant, malgré ces efforts, des récoltes plus abondantes de truffe tardent à venir.
La symbiose du végétal et du champignon est vitale. Le champignon, qui n'a pas la fonction chlorophyllienne, reçoit de l'arbre le carbone et lui apporte eau et sels minéraux. Cette union pour le meilleur c'est la mycorhize. Elle s'opère au niveau de manchons entourant les radicelles, où s'unissent arbre et mycélium. Les truffes souterraines, porteuses des spores reproductrices, ne seront trouvées qu'au bout d'un certain temps selon l'essence de l'arbre truffier, la nature du sol, l'hygrométrie et bien d'autres paramètres connus en laboratoire mais difficiles à maîtriser et reproduire sur le terrain. Les zones de « brûlé » témoignent de la présence de mycélium et en observant les craquelures du sol, Helomyza tuberivora, petite mouche rousse qui pond ses œufs sur les truffes mûres et odorantes ou grâce au flair d'un animal, le cavage portera son fruit noir à la lumière.
Quand Guy Joui créa sa truffière, en 1983 à Monflanquin, sur une terre argilo-calcaire où étaient cultivées jusqu'alors des céréales, les arbres qu'il planta n'étaient pas seulement « ensemencés » avec de la melanosporum. Il s'en rendit compte quelques années plus tard quand il récolta aussi Tuber rufum (la truffe nez de chien) et Tuber aestivum (la truffe d'été). Aujourd'hui son terrain d'expériences s'est considérablement agrandi avec des essences diverses bien « mélanosporées ». Sur quatre hectares et demi, l'ancien commissaire de police peaufine sa longue quête du diamant noir qu'il poursuit, qu'il séduit par mille attentions et déniche sous terre avec gourmandise et passion.
Castine et micro faune
« La première installation date de 83 puis il y eut celles de 90, 92, 95 et 98. Avant 1990 les ensemencements d'apports d'origine étaient de variétés indéterminées d'où les rufum et aestivum. Ensuite ce n'est que de la melanosporum qui est apparue, cela à quinze centimètres maximum du sol de mi-novembre à fin février" nous confiait Guy Joui.
"La culture est enherbée et je rajoute une couche de castine qui favorise la micro faune et donne un système racinaire remontant sous la couche de granulat. Nous avons des chênes verts et pubescents et un arboretum de tilleuls, chênes kermes, cèdres, pins d'alep et noisetiers. Ces essences proviennent de tous les endroits de France et se sont bien adaptées sur ce terrain de calcaire blanc agenais du Crétacé avec une proportion de 16 % d'argile. » Guy Joui aime partager toutes ses données, les échanger avec ses amis producteurs de truffes en particulier ceux de l'Association des producteurs de cèpes et champignons sylvestres du Lot-et-Garonne. Cette saison (2007-2008 Ndlr), dit-il, il a connu un problème de pourrissement alors que l'année précédente était meilleure. Sur l'ensemble de ses récoltes il constate « une courbe croissante ».
Pilou pile dessus
La race de Pilou est certes indéterminée mais c'est avec détermination qu'il entre dans la truffière avec Lucien Perier, son maître et dresseur.
On sent chez ce bâtard, au flair aiguisé par les cavages précédents une sympathique impatience, celle des chiens tirant sur leur laisse le jour de l'ouverture. Il va démontrer que sa truffe trouve la truffe. Du flair chez l'ancien commissaire devant des visiteurs très policés et attentifs autour des brûlés, un chien du feu de Dieu qui reçoit sa récompense à chaque découverte. Pilou tourne et s'arrête pile dessus, gratte délicatement la terre et Lucien finit de mettre au jour les diamants noirs sous la castine blanche.
Les spores au microscope pour ne pas se tromper
Comment ne pas se tromper dans l'identification d'une truffe ? Melanosporum ou pas ? L'odeur bien sûr, la couleur aussi, la forme des verrues externes également, les veines noires à la coupe si l'on peut trancher dedans mais le diagnostic est quasi certain au microscope.
Les truffes (genre Tuber) sont des ascomycètes. Les spores qui vont assurer la reproduction de l'espèce sont contenues dans des asques, des sacs à graines en quelque sorte. On compte en général quatre spores de quelques microns dans chaque asque. Avec un grossissement de quatre cents fois, dans un réactif adéquat et pourquoi pas tout simplement dans l'eau, on distingue au microscope leur forme et surtout leur ornementation. A mille fois, avec un objectif à immersion, le résultat est plus précis.
Les spores échinulées, comme portant des épines, de la truffe du Périgord (melanosporum) sont tout à fait différentes de celles réticulées, comme dans un filet, de la truffe d'été (aestivum). De même on ne pourra pas les confondre avec celles, comme poilues légèrement, de la truffe nez de chien (rufum). Le mycologue que j'essaie d'être a découvert là aussi un monde merveilleux. L'odorat, le goût, la vue, la truffe rassasie aussi l'esprit. Son habitat hypogée force à creuser le sujet. Le bonheur est dans le pré, courez-y vite entre chênes, noisetiers, pins, cèdres et tilleuls sous la castine, dans les brûlés.
Textes et photos Michel Pujol
Marchés de la Truffe: Messieurs les Sarladais tirez les premiers
Si le Cèpe "est de Bordeaux", la Truffe noire "est du Périgord". Aussi parait-il naturel, voire consubstantiel, qu'elle apparaisse, en Aquitaine, proposée à la vente, d'abord sur des étals de Dordogne ce week-end à Sarlat puis à Bordeaux deux semaines après.
Donc avis aux amateurs. Sarlat a du goût (cliquez sur le lien précédent) Les 19 et 20 janvier, dit l'annonce, laissez vous tenter par la Fête de la truffe pendant laquelle "la ville de Sarlat sera livrée le temps d'un week-end à la saveur raffinée du foie gras et aux arômes subtils de la truffe". Et l'annonce de poursuivre "Une manifestation populaire où chacun pourra déguster ces produits nobles et rencontrer les grands noms de la cuisine française."
Les 2 et 3 février Cour Mably à Bordeaux se déroulera un Grand marché de la truffe. Une manifestation qui devient traditionnelle dans la capitale régionale où l'on retrouve les producteurs de plusieurs départements dont des Périgourdins. La Truffe noire n'est-elle pas du Périgord?
M.P.